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« long tail »

Soyons intellos (même sur le Net)

12 juillet 2007, posté par Yves

© Arte

Vous vous rappelez quand on appelait Internet « L’autoroute de l’information »? On disait ça parce que les premiers utilisateurs non-militaires du machin, c’était les universitaires, qui s’envoyaient des emails pour se poser des questions d’universitaires, et consultaient les bibliothèques universitaires à la recherche d’informations universitaires, sur des écrans orange et noir, dans des labos où tout le monde pouvait avoir accès à un terminal tant la demande était minime.

Une petite quinzaine d’années plus tard: Paris Hilton nue, Jessica Alba nue, Scarlett Johansson nue, Lost, Prison Break et Heroes en haute définition, le tout à la vitesse de dizaines de milliers de connexions simultanées. Mais ne vous méprenez pas, ça n’a que très peu changé finalement: ce sont les mêmes universitaires, mais ceux-ci ont maintenant le haut-débit, les images en couleurs, et des centaines de millions de copains avec qui communiquer. Alors forcement c’est la récré!

Internet c’est la revanche des nerds, et certains parlent même de « longue queue » (Long Tail en version originale) pour décrire ce phénomène qui caractérise le nombre inversement proportionnel des offres et des demandes correspondantes. Revenons à ces élites intellectuelles de la première heure, et leur envie insatiable de se cultiver. Qu’en reste-t-il aujourd’hui dans la jungle pop du web? Les gros sites de contenu ressemblent à des radio FM passant la même soupe en boucle du matin au soir, et ce n’est clairement pas dans cette masse qu’on trouvera de quoi se mettre sous la dent quelque chose qui croustille. Non, c’est justement dans cette longue traine qu’il faudra chercher, et c’est dans les offres plus réduites mais plus nombreuses, destinées à des publics plus restreints — mais dont la somme cumulée depasse la majorité — qu’on trouvera son bonheur.

Prenons des sites grand public et creusons un peu. Quand on ne s’attarde pas sur les trucs rigolos de la première page, les communautés de vidéos Youtube ou Dailymotion par exemple regorgent de petites perles qu’on ne pensait pas être aussi facilement disponibles. Certes, ce ne sont pas les vidéos les plus populaires, mais il suffit qu’une seule personne ait les mêmes goûts que vous pour que vous puissiez en profiter. Une émission pas trop obscure par exemple (mais quand même un peu parce que passant sur Arte, et pour illustrer mon propos), « Le dessous des cartes » parle de géopolitique et étudie un sujet sérieux, sur un ton sérieux, présenté par un monsieur pas très glamour. Normalement, l’audience d’un tel programme est réduite, et les opportunités de la voir ou la revoir le sont aussi. Mais le principe de la longue queue c’est que justement on trouve de plus en plus de choses qui satisfont les envies de peu de gens à la fois, et c’est comme ça qu’une émission à l’audience réduite arrive à toucher son audience de manière optimale justement. Plutôt que de forcément vouloir satisfaire le plus grand nombre à 20h30, on peut offrir plus de choix à tout le monde, à n’importe quelle heure, et chacun y trouve réellement son compte.

Alors forcément, il y en aura toujours qui choisiront Vidéo Gag, mais il y aura aussi toi, lecteur assoiffé de culture vulgarisée, qui as envie de mieux connaître le monde qui t’entoure, briller en société devant des jolies filles en talons hauts, et choisir le camps des cyniques plutôt que celui des moutons. Et parce que tout a un prix, y compris la culture, tu ignoreras tout ce que je viens d’écrire poussé par mon élan démocratico-anarchico-utopiste un peu trop optimiste, et tu iras acheter légalement tes émissions sur le site de vidéos à la demande d’Arte.

Pour se mettre en appétit, au dessus de ce post, un petit exercice de style démontrant pourquoi la Turquie devrait rentrer dans l’Europe, et tout de suite après dans la foulée, pourquoi la Turquie ne devrait pas rentrer dans l’Europe. C’est truculent et subtil.

Et pour ceux qui en veulent encore, un petit texte de vulgarisation à l’humour grinçant, sur la démocratie, découvert sur Arte lui aussi.

Élection

« Il faudrait que nous ayons un système électoral juste, s’exclama Archiprime, l’élève d’Archipi, c’est-à-dire qui reflète au mieux les choix des électeurs. »

« Hélas, gémit le professeur Archipi, cela est impossible. Le résultat du vote dépend du système utilisé.
Voyons cela pour une élection pour la présidence de l’Union Européenne où nous avons cinq candidats, par exemple François, Esperanza, Marcello, Ute et John, et admettons que leurs électeurs se répartissent selon six possibilités : ainsi 7,2 millions d’électeurs placent en premier choix François, en second Marcello, en troisième John, en quatrième Esperanza et, enfin, en cinquième choix, Ute. 4,8 millions d’électeurs placent au premier rang Ute, en deuxième rang John etc., comme sur le tableau.

Notre premier système électoral, continua Archipi, est une élection à un tour : chaque électeur vote pour son premier choix. François est élu avec 7,2 millions de voix.
« Ce n’est pas un système juste, s’exclama Archiprime, car 14, 8 millions de personnes lui préféraient un autre candidat. François est élu par moins d’un tiers des votants.
« Alors, examinons le système électoral français actuel, continua Archipi, où François et Ute sont les deux candidats qui ont eu le plus de voix au premier tour. Alors les électeurs des quatre autres groupes votent, au second tour selon leur ordre de choix.

Comme les électeurs des quatre derniers groupes préfèrent Ute à François, la candidate allemande est élue avec l’écrasante majorité de 14,8 millions d’électeurs contre 7,2 pour le candidat français.
« Quel que soit le système électoral, avança Archiprime, le résultat sera toujours un de ces deux candidats, François ou Ute. Ce n’est pas si injuste »

Que nenni, lui répondit le professeur Archipi ! Prenons un système à plusieurs tours où, à chaque tour, on élimine le candidat qui a le moins de voix. Ce système correspond au dicton selon lequel les électeurs éliminent plus qu’ils ne choisissent. Au premier tour, John, qui n’obtient que 2, 4 millions de voix, est éliminé.
Au second tour, 1,6 million des voix de John se reportent sur Ute, leur second choix, et 0,8 million sur Esperanza. Aussi, Marcello est éliminé au second tour.
Les votes se reportent au tour suivant sur Esperanza, ce qui entraîne l’élimination de Ute.
Comme les électeurs de Ute préfèrent Esperanza à François, c’est la candidate espagnole qui est élue, avec 14,8 millions de voix.

« Et si nous utilisons le système du mathématicien Borda, demanda Archiprime, où chaque électeur attribue 5 points au premier choix, 4 au deuxième choix, 3 au troisième, etc.? Avec ce système à un tour, qui serait élu ?
 » Faisons les comptes, répondit Archipi.
Le vainqueur est le candidat italien, qui obtient, en suivant les colonnes de gauche à droite, 76,4 millions de points.
(7,2 x 4) + (4,8 x 3) + (4 x 2) + (3,6 x 5) + (1,6 x 3) + (0,8 x 3) = 76,4 millions.
« C’est exact, j’ai fait les comptes pour les autres qui obtiennent moins de points. J’hallucine, s’écria Archiprime.
(Totaux pour les autres : 75,6 millions pour John; 64,8 millions pour Esperanza; 62,4 millions pour Ute; 50,8 millions pour François)

« Le seul candidat qui n’ait pas gagné avec un des quatre systèmes électoraux que nous venons d’examiner est John, le candidat anglais : nous allons le faire gagner avec un dernier système, le système de Condorcet. Dans celui-ci, nous opposons chaque candidat à tous les autres, et nous comptons celui qui a le plus de victoires.
John gagne contre Ute : elle obtient 7,2 + 3,6 + 1,6 + 0,8, soit 13,2 millions de voix, alors que Ute n’obtient que 4,8 + 4, soit 8,8 millions de voix. Et il gagne également contre tous ses autres opposants. Tu pourras le vérifier, Archiprime.

« Avec ces cinq systèmes électoraux qui semblent également justes, nous avons cinq résultats différents, continua Archipi. Ceux qui choisissent le système électoral déterminent l’heureux gagnant. C’est sur des considérations de cet ordre que Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie en 1972, prouva qu’il n’y avait pas de système électoral qui soit juste. La démocratie parfaite est un rêve impossible. »

© Arte G.E.I.E
(Une version illustrée est disponible .)


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