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« calligraphie »

Plus c’est gros, plus c’est beau

17 août 2007, posté par Marc

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Le caractère biáng. Image © Wikipedia, 2006

Bien avant l’arrivée au pouvoir du Parti communiste, la simplification des caractères courait déjà dans les esprits d’intellectuels chinois. Lu Feikui (陆費逵 = 陆费逵), éditeur du Journal de l’éducation (教育杂志), avait déjà eu l’idée, en 1909, de limiter le nombre de traits de sinogrammes d’usage courant. Par la suite, les caractères chinois ont été accusés de limiter l’accès à l’éducation, raison pour laquelle une réforme de l’écriture prenait place dès 1956. Aujourd’hui, deux systèmes cohabitent dans le monde chinois, l’un — les caractères simplifiés (简体字) — étant en usage en République populaire de Chine, l’autre — les caractères non simplifiés (繁體字) — est toujours employé à Hong Kong, Macao et Taiwan.

Un caractère a échappé à la purge communiste, celui des pâtes biáng biáng, une spécialité de la province du Shǎnxī (陝西). L’étrangeté de cette spécialité ne réside pas tant dans son apparence (des nouilles longues et épaisses) que dans la manière dont on écrit son nom. En effet, le caractère employé pour écrire le mot biáng comprend 58 traits (57, suivant la façon de tracer le caractère du cheval, 馬, en son centre).

Aujourd’hui, ce mot n’est plus menacé par la Révolution culturelle, mais par l’évolution technologique. Des ordinateurs disponibles aujourd’hui sur le marché chinois et européen, aucun n’est capable de le reproduire dans un traitement de texte ou un logiciel de graphisme, et pour cause : il n’apparaît dans aucune police de caractères commerciales. Il est donc devenu courant de remplacer le sinogramme de 58 traits par d’autres mots plus faciles à écrire.

On ne connaît pas précisément l’origine du caractère biáng. D’aucuns prétendent que c’est Lǐ Sī (李斯, environ 280 à 208 avant J.-C.), un chancelier de la dynastie des Qin (秦), qui l’aurait inventé. C’est peu probable, car le Dictionnaire Kangxi (康熙字典, une très grande référence qui verrait le jour dix-sept siècles plus tard) ne le mentionne pas.

N’empêche qu’aujourd’hui, ce caractère existe toujours, mais pour combien de temps encore ? Son étrangeté fait son charme, mais aussi sa faiblesse.

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Le caractère biáng sur une pancarte. Photo © Prince Roy’s Realm, 2004

Un journal à la main

11 juillet 2007, posté par Marc

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Photo © Scott Carney / Wired, 2007

Avant la colonisation britannique, l’ourdou était la langue de la Cour de Delhi, et la richesse de son vocabulaire (d’origines indienne, persane et arabe) lui avait permis de gagner un très haut niveau de sophistication et d’élégance. Avant 1947, l’ourdou et l’hindi constituaient d’ailleurs la même langue, alors appelée hindoustani. Depuis la séparation de l’Inde et du Pakistan, ces deux langues sœurs se sont éloignées l’une de l’autre, l’ourdou perdant peu à peu son vocabulaire d’origine sanscrite au profit de mots d’origine persane ou arabe. Aujourd’hui parlé par plus de 160 millions de personnes au Pakistan (dont c’est la langue officielle) et au nord de l’Inde (où il est l’une des 22 langues reconnues par la Constitution), l’ourdou est également la langue maternelle d’un grand nombre de locuteurs disséminés à travers le reste du sous-continent.

À Madras (Chennai), ville de l’Inde du Sud, capitale de l’État du Tamil Nadu, existe depuis 1927 un journal ourdou entièrement composé… à la main : le Musalman. Tiré à vingt mille exemplaires, ce quotidien est imprimé depuis les années 1950 sur une ancienne rotative héritée d’un journal américain aujourd’hui disparu. Il est lu principalement à Triplicane (sur la côte de la Baie du Bengale) et à Madras.

Le rédacteur en chef, Syed Fazlulla, dirige — du haut de ses 76 ans — une équipe de six personnes dont quatre calligraphes (ou katibs) qui pratiquent l’art inestimable du nastaʿlīq, l’écriture ourdoue. Le journal utilise en grande partie des nouvelles traduites de l’anglais et publie également des poèmes et des messages de dévotion.

Bien que d’obédience musulmane, ce journal emploie aussi bien des femmes que des hommes, des musulmans que des hindous. Il est l’un des derniers sanctuaires de la calligraphie ourdoue qui, pendant longtemps, avait été l’apanage des hautes classes, de l’éducation et des esprits libéraux. Aujourd’hui menacé par l’informatique (les premières polices de caractères ourdoues ont vu le jour au milieu des années 1990), le journal risque de disparaître. Quand son rédacteur en chef ne sera plus en mesure de tenir la barre, son fils, Syed Nasarulla (qui se désintéresse totalement de la calligraphie) ne poursuivra sûrement pas l’entreprise, ou tout du moins pas sous cette forme-là : il ne comprend pas pourquoi le Musalman n’est pas depuis longtemps passé à la PAO.

Quand le Musalman aura fermé, quand les derniers katibs encore en vie cesseront de pratiquer leur art, c’en sera fini de l’art suranné des poèmes quotidiens portés par les plus douces arabesques. Tout fout le camp, surtout la beauté.

Merci Wired


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